Billet d’humeur | « Désolé, mais avec tous ces reports dus au Covid, la programmation est déjà pleine ».

« Désolé, mais avec tous ces reports dus au Covid, la programmation est déjà pleine ».

Voilà le monde d’après. Chouette, ça fait rêver. Déjà que dans le monde d’avant, je trouvais que la spontanéité avait du plomb dans l’aile, là on vient de changer de catégorie. Bim, on prend deux ans dans les dents, pendant lesquels on va jouer nos projets d’avant la naissance du Covid, alors qu’on a des nouveaux projets plein les valises.

Non vraiment je crois que ça m’agace trop et que ça me fait remonter des vieux démons. Comme par exemple : est-ce que le spectacle vivant (en tout cas la musique) n’aurait pas besoin d’un temps bien plus court entre création et diffusion ? Nous avons joué le jeu du temps long quand il a s’agit de se structurer, de s’autoproduire, de s’auto-communiquer, etc. Très bien, ça s’est fait. Essayons maintenant de repenser le temps court. Juste pour voir. Essayons d’avoir de plus en plus d’interlocuteurs.trices réactifs.ives et des lieux adaptés à des formes un peu plus spontanées, sans plan promo alambiqué et stratégie de développement web stérile. L’argent et la rentabilité ne sont visiblement pas un problème en ce moment, alors profitons-en.

Pensons d’autres formats, collaborons, enthousiasmons-nous, redonnons de l’importance au mot « vivant » et laissons au mot « spectacle » la possibilité de se créer sur l’instant. Cela me semble urgent et nécessaire.

Et puis j’ai un autre vieux démon qui surgit : je m’aperçois que face à ce besoin de réel, le web a paradoxalement pris beaucoup trop de place et il n’a pas envie de s’arrêter. Sans même parler des concerts virtuels qui ont au moins le mérite de prodiguer des soins palliatifs, le grand gang des boites à stream a mis le pied dans la porte du réel. Il n’est plus très loin le moment où l’on décidera dans quelle ville aller jouer en fonction de la localisation géographique de nos followers spotify (qui ne sont ni plus ni moins que les nouveaux like Facebook et vues YouTube). Quelle perspective peu réjouissante… Les algorithmes, après avoir décidé ce qu’on devrait écouter (et lire et penser), décideront de ce qu’on va voir en concert. Et concernant le temps court, ils l’ont déjà investi massivement, mais en ne prenant en compte que le côté « consommateur.trice ». Il semblerait nécessaire qu’un.e artiste sorte un titre ou album par mois pour être vraiment visible sur les plateformes. Ça tombe bien, on a tous un superbe home studio depuis le confinement. Donc c’est parti, on produit tous de la musique chez soi et on attend que suffisamment de monde l’écoute pour savoir où on va jouer ?

Me concernant, tout cela ne me fait pas vibrer, mais alors pas du tout. Et si j’en crois les gens avec qui je travaille, je ne suis pas le seul. Car oui, on est nombreux, artistes et diffuseurs.euses à nous poser des questions, à chercher du sens et des solutions à tout ça. Et c’est bien pour ça que c’est énervant. Parce que c’est juste là, pas très loin, que ça pointe le bout de son nez un peu partout. Donc go. Allons y. Commençons par annuler les dates reportées du Covid, effaçons la dette de programmation (morale et financière), investissons le futur proche (ne commençons pas à programmer 2022 s’il vous plaît) et réinvestissons les lieux de musique de proximité. Et puis tant qu’à faire offrons donc gratuitement au public notre musique dématérialisée plutôt que de récupérer en royalties à peine de quoi acheter une tournée de pains au chocolat, ça fera plus d’heureux.

Je me dis que pour inventer une nouvelle culture durable et responsable, ne faudrait-il pas commencer par imaginer une culture réactive, humaine et diablement plus ancrée dans le présent ?

Voilà, je suis toujours un peu agacé, mais au moins, ça fait du bien de le dire.

Bisous

Romain Dugelay est compositeur et musicien au sein de multiples formations. Il gère la Compagnie 4000