Le Petit Faucheux à Tours : Mefiez vous des apparances.

Bienvenue au club

Il ne faut pas toujours se fier aux apparences. Si le Petit Faucheux semble n'être qu'un petit club de la ville de Tours avec une capacité d'accueil d'à peine 200 personnes, "en réalité, c'est bien plus que cela", affirme Sylvain Élie, qui a pris la direction de l'établissement en août 2022. En effet, plus on se penche sur le contexte, plus la vérité de cette affirmation s'accentue. Et comme nous le mentionnerons à la fin de cet article, le nom du club, fortuitement, porte aussi exactement les bonnes résonances.

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Le club et l’organisation qui le sous-tend – qu’Élie dirige également et qui organise d’autres événements et festivals dans la région tout au long de l’année – sont au cœur de vastes réseaux de musiciens et d’éducateurs musicaux, à l’échelle régionale, nationale et internationale.

Un facteur important est la quantité d’activités dans le domaine du jazz et des musiques apparentées qui se déroulent dans la région. JazzRadio.fr a récemment décrit Tours comme « LA ville à découvrir pour les amateurs de jazz ». L’héritage du jazz dans la région remonte à au moins quarante ans, mais aujourd’hui, il y a aussi un effet boule de neige. Tours est devenue un pôle d’attraction pour les musiciens qui cherchent à développer leur carrière et à faire partie d’une écologie substantielle et d’un réseau de soutien, dont le Petit Faucheux est le cœur battant.

Un acteur d’une ville emblématique


Tours et sa région sont la base de plusieurs collectifs d’artistes et labels actifs, notamment Capsul Collectif, La Saugrenue, et UnJeNeSaisQuoi, tous à Tours même, ainsi que Veston Léger à Amboise – et Le Petit Faucheux est une ressource importante qu’ils peuvent utiliser. Le Petit Faucheux est une ressource importante pour eux. Pendant la journée, c’est un espace bien équipé pour les répétitions et les enregistrements, un endroit où ils sont invités à essayer de nouvelles choses. L’équipe du Petit Faucheux entretient également des liens très étroits avec les établissements d’enseignement locaux : le Conservatoire, l’école de jazz Jazz à Tours et le département de musicologie de l’université de la ville, qui porte le nom de l’un des plus grands libres penseurs, François Rabelais.

Tours est également le lieu de résidence d’un certain nombre de musiciens de jazz français importants. Le batteur Edward Perraud, le pianiste et compositeur Guillaume de Chassy, le trompettiste Jean-Luc Cappozzo et le saxophoniste Yoann Loustalot vivent tous dans la région, et le charismatique saxophoniste et chef d’orchestre Thomas de Pourquery les a récemment rejoints. Le charismatique saxophoniste et chef d’orchestre Thomas de Pourquery les a récemment rejoints : « J’ai pas mal d’amis musiciens qui sont tourangeaux. C’est une très bonne scène musicale. Magnifique, en fait ! » Et ses visites au Petit Faucheux ne se limitent pas aux concerts, c’est aussi un bon endroit pour écouter. Il m’a raconté qu’il s’y était rendu récemment pour assister à un concert de la flûtiste et compositrice Sylvaine Hélary et de la contrebassiste et multi-instrumentiste Sarah Murcia. De Pourquery ne doute pas de l’importance du Petit Faucheux : « C’est un club emblématique : c’est un lieu important de la scène française ».

Les facteurs économiques et pratiques/topographiques jouent certainement un rôle dans l’attractivité de Tours. Des trains rapides font le trajet jusqu’à la gare Montparnasse à Paris en un peu plus d’une heure. Les prix de l’immobilier à Tours sont bien plus abordables que dans la capitale. Et si l’on se penche sur l’histoire, on s’aperçoit que la ville ligérienne a toujours été un lieu de pouvoir et d’influence pendant de longues périodes : le « livre tournois » a été la principale monnaie française pendant plus de cinq cents ans, de 1262 jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par le franc en 1793.

Un acteur d’une scène emblématique


Aujourd’hui, ce qui se passe au Petit Faucheux se situe peut-être à un niveau plus microéconomique que, par exemple, le fait de diriger le pays ou de fixer sa monnaie… mais c’est tout de même incroyablement impressionnant. Dès que l’on parle à quelqu’un qui a une association directe avec le club, on remarque leur engagement commun vraiment remarquable pour construire une scène efficace, authentique et durable autour de Tours, et aussi pour utiliser la musique pour atteindre et avoir un effet utile sur la société.

Ce sentiment était particulièrement clair lorsque j’ai parlé à Sylvaine Hélary, une figure importante de la scène française. Elle est actuellement l’artiste associée en résidence du club et a participé à divers projets de sensibilisation et d’éducation. Elle se souvient très bien de ses premières impressions de travail avec l’équipe du Petit Faucheux : « Les premières choses qui m’ont marquée lorsque j’ai appris à les connaître, c’est à quel point ils sont unis et interconnectés, à quel point ils partagent tous les mêmes idéaux et objectifs, et à quel point ils sont tous totalement engagés dans leur réalisation. » Cette impression est certainement renforcée lorsqu’on écoute une figure clé de l’organisation, Isabelle Boulanger. Elle est chargée de diriger le travail éducatif de l’organisation et de maintenir et développer les liens avec les communautés et les autorités locales.

En fait, lors de ma brève conversation avec Mme Boulanger, les surprises n’ont jamais semblé s’arrêter. L’activité qu’elle coordonne est incroyablement vaste. Les artistes associés au club travaillent dans des établissements préscolaires, des établissements de santé mentale, des prisons, des maisons de soins, des écoles normales, des crèches et des lycées. Outre le travail dans la communauté au sens large, les institutions musicales plus spécialisées, telles que l’école de musique Jazz à Tours, sont également des partenaires importants.

Mme Boulanger communique avec force la conviction profonde que la musique peut avoir un effet positif sur la société. Son rôle est celui d’un intermédiaire qui amène des musiciens inspirés et créatifs à jouer des rôles où ils peuvent changer des vies. Au sens le plus large, comme elle l’exprime, « nous considérons la musique comme une ressource pour faire d’autres choses ». Tout en parlant, elle se remémore des souvenirs très précis. Elle se souvient de musiciens tels que Sylvaine Hélary et le contrebassiste Sébastien Boisseau qui apportent vie, animation et inspiration dans toutes sortes de contextes. Boisseau a eu l’idée novatrice de faire entrer la musique dans les foyers, sur les lieux de travail et dans d’autres contextes, grâce à un « salon ». « Ce qui a été extraordinaire, c’est la rapidité avec laquelle Isabelle a compris l’idée du « salon » et a pris l’initiative de me présenter à une organisation appelée Cultures du Cœur. C’est une étape cruciale qui a permis d’accélérer le processus et de faire accepter l’idée. Je viens de faire mon centième salon en partenariat avec le Petit Faucheux ».

Un héritage exemplaire


Le Petit Faucheux a un héritage, une tradition à faire fructifier, et il a aussi un remarquable palmarès pour ce qui est d’obtenir constamment le soutien proactif des quatre niveaux des pouvoirs publics français : la ville, le département, la région et l’État. L’équilibre est délicat à trouver, mais Sylvain Élie est persuadé que le Cahier des Charges du club est approuvé à tous les niveaux, sachant que, pour des organismes ayant pour mission spécifique de promouvoir le jazz, ce niveau et cette constance de soutien sont assez rares. C’est une très bonne base de travail.

Le club a été créé en 1983 dans un minuscule café-théâtre de la vieille ville, d’une capacité d’environ 50 personnes. Il attirait déjà de grands talents dans ses premières années – certains habitants se souviennent encore des concerts de Mal Waldron, Kenny Wheeler, John Abercrombie – et de toutes les stars du jazz français. Il y avait aussi des jam sessions. « C’était mon école de jazz », dit Boisseau, qui a grandi dans le quartier. En 2005, la ville a encouragé le club à déménager au Théâtre Louis-Jouvet, récemment rénové, qui a été rebaptisé Le Petit Faucheux.

L’héritage plus récent dont hérite l’équipe actuelle est également solide, notamment dans le domaine de l’accès des musiciennes à la profession et du soutien à leur carrière ; cela reste une priorité absolue et inébranlable qui est en train de s’étendre. La création d’une œuvre de Yohna Lalanne avec une équipe entièrement féminine d’interprètes et de créateurs, qui a clôturé le Festival Emergence 2022, en est un exemple récent. L’événement n’est pas passé inaperçu : il a fait l’objet d’une couverture télévisuelle nationale.

Le souvenir inoubliable de Françoise Dupas


Le travail de promotion de la musique créée et interprétée par des femmes est une partie importante de l’héritage de Françoise Dupas (1971-2021). Elle a été directrice du club de 2009 jusqu’à son décès tragique. Mme Dupas était une ardente défenseuse du jazz et des musiques nouvelles, et se trouvait au cœur de nombreux réseaux nationaux de soutien et de promotion des musiques nouvelles en France. L’hommage que lui a rendu Roselyne Bachelot-Narquin, ministre française de la culture, l’a décrite comme « une militante infatigable pour la défense de ses convictions » et comme « une femme courageuse, généreuse et engagée ». Thomas de Pourquery, musicien qui l’a bien connue, se souvient d’elle comme d’une « figure importante et d’une personne généreuse et lumineuse ».

Dupas était une figure très respectée dans les cercles musicaux nationaux en France, et Sylvain Élie, qui a pris ce rôle majeur, a également le profil d’un leader efficace dans le secteur musical au niveau national, principalement grâce à ses sept années de travail avec l’Orchestre National de Jazz. Originaire de Nice, il a étudié la guitare jazz dans différents conservatoires. Il a d’abord travaillé comme acteur de théâtre, ce qui rend moins surprenante l’aisance de sa présence physique lorsqu’on le rencontre. Son dernier emploi était un poste de direction au Centre Dramatique National de l’Océan Indien, sur l’île de la Réunion. Il a travaillé dans une multitude de contextes culturels et toutes les personnes à qui j’ai parlé lors de la préparation de cet article ont réaffirmé qu’il était la personne idéale pour assumer ce rôle.

Gloire aux prochaines années


Quelles seront les priorités d’Élie ? L’une d’entre elles est certainement de renforcer de manière significative le statut « emblématique » du Petit Faucheux dans la ville de Tours et au sein de la communauté des musiciens français : « L’un de mes objectifs est de renforcer la visibilité internationale, en développant des projets d’envergure européenne et des résidences croisées avec des artistes d’autres pays », explique-t-il. L’équipe de production interne sera renforcée, notamment pour accroître les possibilités de collaboration avec d’autres organisations artistiques de la région. L’expérience récente d’Élie à la tête d’un théâtre lui permet de partir sur de bonnes bases pour favoriser ce type de dialogue actif et fructueux.

Y a-t-il des signes que l’ambition de continuer à développer le public commence à porter ses fruits ? Il est encore tôt – au moment où j’écris ces lignes, Élie n’est en poste que depuis trois mois – mais il m’a dit qu’il avait vu une chose qui l’avait vraiment encouragé. Ce qui a interpellé Élie, c’est la présence de quelques voitures immatriculées à Paris devant le club pour le concert du violoncelliste américain Erik Friedlander, ce qui laisse supposer que des fans parisiens avertis ont fait le déplacement pour l’écouter. Cette évolution est un véritable coup de chapeau au jeune programmateur de l’équipe, Antoine de la Roncière, dont Élie dit « qu’il fait de très bons choix et que nous travaillons bien et en étroite collaboration ». Serait-ce le début d’une tendance ? On ne peut que l’espérer… et s’en réjouir.


Les non-francophones seront peut-être curieux de savoir ce que signifie le nom « Le Petit Faucheux ». Les faucheux (opiliones) sont une branche du genre araignée (la patte longue est une sous-espèce). Les araignées tissent des toiles. Et la construction de toiles ou de réseaux à travers lesquels l’enthousiasme pour la musique peut se propager n’est pas seulement ce que le Petit Faucheux fait tous les jours de l’année, et dans toutes sortes d’endroits improbables, c’est aussi la chose qu’il fait exceptionnellement bien.

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Cet article est paru dans le deuxième numéro papier de Périscope Magazine Creative Spaces for Innovative Music, produit dans le cadre du projet Européen Offbeat.
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