Interview | »J’ai vécu cet appel comme une main tendue, une bouffée d’oxygène dans ma réalité professionnelle »
Wah! est un dispositif national de mentorat de développement de carrière pour les femmes et les personnes discriminées sur la base de leur identité de genre dans les musiques actuelles.
A l’approche de la mise en place de la seconde édition du dispositif "Wah !" visant à encourager l’émancipation
des femmes du secteur des musiques actuelles, Le Périscope est allé recueillir les
témoignages de Sophie Broyer et Lorette Vuillemard. Professionnelles du secteur basées à Lyon, Sophie et Lorette ont pu participer à la
première édition mise en place par la FEDELIMA et bénéficier de cette initiative novatrice et au combien
nécessaire aujourd’hui.
« Qu’est-ce que le Wah ! » ?
Wah ! est un dispositif de mentorat destiné aux femmes ou personnes discriminées sur la base de leur identité de genre, qui travaillent et qui créent dans la musique actuelle. Ce dispositif mis en place en 2019 cherche à favoriser l’émancipation professionnelle de ses participantes mais aussi à réfléchir sur les manières d’agir en faveur de l’égalité entre les genres dans la culture. Cette initiative propose un cheminement d’un an à un groupe de 28 femmes* réparties en 14 binômes à travers une relation mentore-mentorée singulière mais aussi via différents temps d’ateliers collectifs, de temps d’analyses des pratiques, de rencontres avec d’autres professionnelles.
Le Périscope a recueilli les témoignages de deux participantes de la première édition :
- Sophie Broyer: Programmatrice aux Nuits de Fourvière et Conseillère Artistique à l’Agence Trente-Trois,
- Lorette Vuillemard : Chargée de coordination culturelle et Programmatrice (Salle Leo Ferré, Festival Chants de Mars, Festival Ping-pong, Espace d’Art La Brèche et MJC du Vieux Lyon)
« J’ai vécu cet appel comme une main tendue, une bouffée d’oxygène dans ma réalité professionnelle et la sensation que « quelque chose était en train de bouger ». Et j’ai eu envie de faire partie de ce mouvement. »
Lorette Vuillemard
Quelle a été votre première impression lorsque vous avez pris connaissance du dispositif Wah ?
Sophie : Enfin de l’action ! Il est très important de rappeler les chiffres des inégalités Femmes/Hommes, de constater les inégalités, mais il est aussi temps d’agir concrètement. Et le mentorat permet de se mettre collectivement face à différentes problématiques rencontrées par les femmes, d’échanger, de se sentir soutenue et encore une fois, d’agir.
Lorette : Lorsque j’ai découvert l’appel à candidature, cela correspondait à une période où j’étais en plein questionnement sur mon parcours professionnel au sein des musiques actuelles. En tant que femme de 35 ans, avec 2 enfants, je me demandais s’y j’avais encore ma place au sein de ce secteur. J’ai vécu cet appel comme une main tendue, une bouffée d’oxygène dans ma réalité professionnelle et la sensation que « quelque chose était en train de bouger ». Et j’ai eu envie de faire partie de ce mouvement.
Le fait de pouvoir échanger, discuter, comparer vos expériences du secteur musical en tant que femmes avec d’autres professionnelles a t-il été de premier abord un exercice compliqué ? Comment avez-vous géré les écarts de points vues, prise de conscience entre chacune d’entre vous ?
Sophie : Etonnamment, il y a eu très peu d’écarts de points de vues. La prise de conscience n’était pas forcément au même niveau mais les ressentis étaient vraiment similaires. On s’est comprises assez rapidement. Et bien au contraire, il a été très facile d’échanger et de comparer, voir même cela a été un soulagement. Un endroit où l’on pouvait être sure que les autres comprenaient.
Lorette : L’échange a tout de suite été simple et fluide. Le cadre a été bien posé dès le départ par les responsables du programme et il y avait énormément de bienveillance entre les participantes. Ce qui a été frappant, c’est qu’il n’y avait pas vraiment de gros écarts de points de vues. La mise en commun de nos expériences, nous a permis de prendre conscience collectivement que les difficultés auxquelles nous étions confrontées chacune dans notre parcours étaient en réalité assez communes, et relevaient plutôt de problèmes systémiques que de difficultés personnelles. Cela permet de relativiser, de prendre de la distance, et nous donne la confiance et la force pour agir.
Vous avez donc formé un binôme (en tant que mentorE et mentoréE) pour pouvoir échanger à titre personnel sur votre expérience et vos stratégies pour déjouer les mécanismes sexistes dont souffre le secteur. Comment avez-vous décidé de procéder sur ces échanges ?
Sophie : Il y a un protocole de mentorat dans le dispositif Wah!, nous devons nous voir une fois par mois entre Mentore et Mentorée. Nous avons également un carnet de liaison où nous avons pu décrire nos séances, les thématiques abordées et les évolutions souhaitées. Les échanges avec Lorette était facilités par la proximité géographique mais nous nous retrouvions aussi dans les moments collectifs à Paris ou Lyon.
Lorette : Pour mettre en place notre relation mentorale avec Sophie, nous avons été guidées par plusieurs intervenantes. Lors de notre première séance, nous avons établi les modalités et le cadre de notre engagement. Par la suite, nous nous retrouvions chaque mois pour faire un point. Nous avions un carnet de bord que nous complétions pour nous permettre de suivre nos échanges. Je pouvais solliciter Sophie sur des situations précises ou des questionnements, elle m’apportait un regard et des conseils, avec beaucoup de bienveillance. Tout au long du programme, nous avions également la possibilité de suivre des ateliers collectifs avec les autres participantes sur diverses thématiques (agir et réagir face au sexisme, prendre la parole en public, vie professionnelle/vie personnelle, etc.). Tous ces échanges, que ce soit en tête à tête avec Sophie, où lors des sessions collectives, ont été très enrichissants.
Pouvez vous aussi nous expliquer comment vos échanges ont aussi alimenté plus globalement une réflexion au national avec d’autres professionnelles du secteur ?
Sophie : Nous avions tous les deux mois environs des formations collectives sur différents sujets : savoir réagir aux propos sexistes, améliorer sa légitimité, comprendre les inégalités et le mécanisme de celles-ci etc. Sur ces temps là nous pouvions échanger sur de nombreuses facettes de nos métiers et de notre milieu. Ensuite, lorsque chacune retourne à sa réalité professionnelle, elle est riche de ces échanges. C’est la métaphore de « changer de lunettes ». On a toutes changer nos lunettes pour mieux discerner, identifier et comprendre les inégalités et leur fonctionnement.
Lorette : La mise en commun de nos expériences nous a permis de mieux identifier les situations de discriminations sexistes et de blocage dans l’évolution professionnelle des femmes dans les musiques actuelles. Ces blocages existent dans tous les secteurs mais dans les musiques actuelles, ils se retrouvent exacerbés car c’est un milieu très masculin, qui fonctionne beaucoup en réseau, avec des horaires atypiques, dans une ambiance festive et souvent alcoolisée, avec souvent un manque de moyens, et des dérives d’organisation du travail associées au « métier/passion ». La FEDELIMA (fédération des musiques actuelles) qui propose ce programme de mentorat a clairement décidé de se saisir de ce chantier, et propose à travers la plateforme « Wah ! » des ressources, de la sensibilisation et des outils pour lutter contre le sexisme. Je pense que le programme de mentorat participera à alimenter cette réflexion, à orienter les actions des instances représentatives, et se traduira aussi par des actions individuelles que les participantes mèneront à leur échelle, et dans leur territoire respectif.
Individuellement, avec quels outils repartez vous de cette expérience ? Une compréhension plus globale des problématiques, des pistes d’amélioration dans vos situations personnelles ? Un réseau soudé pour combattre certaines situations ?
©Gwendoline Blosse
Sophie : Un réseau soudé c’est évident. Il y a la plateforme, mais aussi un groupe Facebook. On a vécu une expérience collective assez forte. Nous avons amélioré nos connaissances, nous avons déconstruit nos préjugés, nos façons de voir les choses, nous avons expérimenté des solutions, des positionnements. Bref, ça nous a renforcé et ça nous a permis de mieux comprendre les différentes facettes du féminisme et de la sororité. Personnellement je suis repartie avec plus de force, plus de confiance et l’impression d’avoir une attention accrue par rapport à ses problématiques. Cela va même au-delà puisque l’on se sent aussi investi d’une mission : en parler autour de nous, ne rien laisser passer, réagir, et mettre en place des actions favorisant l’égalité et l’empowerment des femmes.
Lorette : A titre personnel, ce mentorat m’a permis de prendre confiance en moi, en mes compétences, et de me sentir légitime. Cela semble anodin, mais en réalité ça change beaucoup de choses. J’ai aussi appris à mieux identifier les situations de discrimination, à trouver des astuces pour les déjouer. Mais surtout, j’ai découvert la force du collectif, et c’est quelque chose d’assez incroyable ! S’écouter et se soutenir permet d’aller de l’avant et d’agir.
Je me sens vraiment chanceuse d’avoir pu faire la rencontre de toutes ces femmes brillantes et passionnées. Et je suis certaine que malgré la fin de cette édition, nous conserverons ce lien particulier qui nous a uni dans cette 1ère promo.
« Encore trop souvent, lorsqu’il y a un groupe de travail au sein d’une entreprise sur l’égalité Femmes/ Hommes, il n’y a que des femmes présentes. C’est un sujet qui nous concerne tous, puisqu’il s’agit de vivre ensemble quelque soit notre genre. »
Sophie Broyer
La non-mixité du dispositif Wah est une nécessité pour libérer la parole, construire des échanges entre personnes qui font corps autour d’une expérience commune. En revanche, sous quelle forme aimeriez vous voir les hommes prendre part dans cette lutte contre les agissements sexistes
Sophie : Comme dit Virginie Despentes dans un de ses entretiens en radio : « les hommes sont lents » C’est évidemment un peu provoquant mais c’est tellement vrai. Les hommes, en tant que groupe social (et non en tant qu’individu), doivent pouvoir réfléchir et répondre à ses problématiques. Nous savons bien que tous les hommes ne sont pas…que tous les hommes ne font pas…Mais entre eux, ils pourraient peut être chercher des solutions pour combattre le sexisme, la domination masculine, le patriarcat. Bien-sûr, ils sont les bienvenus dans nos réflexions, mais j’aimerai qu’ils se parlent entre eux et qu’ils agissent aussi pour effacer ces inégalités. Que ce soit dans la sphère professionnelle mais aussi dans la sphère privée : le rapport à la sexualité, le rapport aux corps des femmes etc. Ils peuvent complètement s’éduquer les uns les autres. Que ce ne soit pas toujours aux femmes de pointer les inégalités, de s’insurger, de se battre pour des droits etc. Encore trop souvent, lorsqu’il y a un groupe de travail au sein d’une entreprise sur l’égalité Femmes/ Hommes, il n’y a que des femmes présentes. C’est un sujet qui nous concerne tous, puisqu’il s’agit de vivre ensemble quelque soit notre genre.
Lorette : Au départ, j’étais un peu dubitative sur la non-mixité du dispositif car je me disais « Comment peut-on faire évoluer les choses si les hommes de notre secteur ne participent pas à ce projet ? ». Mais j’ai rapidement pris conscience que la non-mixité du programme était effectivement un facteur essentiel pour libérer la parole et pouvoir échanger sur des sujets complexes sans jugement ou justification. Mais il est évident que l’évolution de notre secteur ne se fera pas sans l’action de toutes et tous. Les hommes, comme les femmes, reproduisent consciemment et inconsciemment des schémas d’oppression envers les catégories discriminées. Pour un homme, pendre part à la lutte contre le sexisme peut simplement passer par une meilleure écoute des professionnelles qui l’entourent, un effort d’attention pour éviter de créer ou de laisser se créer des situations sexistes, et parfois un coup de pouce pour favoriser la place de femmes dans leurs équipes.
Si cette initiative vous intéresse, l’ensemble des informations est détaillé sur le site du dispositif. L’appel à candidature se clôturera le 16 Avril.