Le Péri voit du pays

Dans le cadre du projet Landscape, initié de concert avec le réseau AJC et le club jazz amstellodamois Bihmuis afin de réfléchir à des solutions de production de tournées plus écologiques, Le Périscope est allé prendre l'air hors de Lyon, à la rencontre de quelques téméraires généreux.ses qui font vivre la musique live en milieu rural.

L’itinéraire de cette escapade estivale nous a d’abord mené au Village, bar-restaurant culturel établi à Chantepérier, au pied du massif des Écrins, en Isère ; puis en randonnée sur les sommets de la Haute-Savoie, aux côtés du groupe La Tournée des Refuges, dont le projet – vous vous en doutez – consiste à tourner de refuge en refuge, à pied ; elle s’est enfin terminée sur la ravissante place du village de Saoû, dans la Drôme, qui jouit malgré ses 600 habitants seulement d’un étonnant dynamise culturel, notamment poussé par le Gasoline Palace, le Poney Fringuant et L’Oiseau sur sa Brance.

Deux axes se dégagent entre autres des premières recherches du Périscope au sujet de l’impact carbone de l’organisation de concerts : celui des transports et donc du déplacement des publics et celui de l’empreinte énergétique du catering.

De ce fait, le programme de ces journées proposait des tables rondes – relax, parce que c’était l’été quand même – pour discuter, d’abord, de l’intérêt écologique de faire jouer des artistes en milieu rural (avec Pierre Dugelay, directeur du Périscope), puis des moyens plus responsables d’envisager la restauration collective (avec Coline Llobet, cuisinière du Périscope). S’en suivait à chaque fois, évidemment, de la musique live programmée localement.

Ces trois expériences bien différentes nous permettent de tirer une première esquisse des promesses et des défis soulevés par l’organisation de concerts en campagne.

Une écologie spontanée

Commençons d’abord par souligner que parmi toutes les personnes que nous avons rencontrées, peu revendiquent le potentiel écologique de leur projet. Notons tout de même deux exceptions : Thierry Chalancon, directeur du restaurant L’Oiseau sur sa Branche à Saoû, a dès les années 90 entrepris clairement de ne se fournir qu’en circuit court et d’arrêter de servir des marques comme le Coca-Cola.

Quant à l’enfant des montagnes Gaspard Panfiloff, le musicien créateur de La Tournée des Refuges, son idée de voyager à pied pour se produire chaque soir dans un refuge différent est évidemment imprégnée d’une conscience aiguë de l’empreinte néfaste de l’homme sur le vivant. Pour les autres cependant, l’écologie n’est pas aussi nettement théorisée. Au Gasoline Palace par exemple, ce bar-restaurant culturel établi dans un ancien garage automobile de Saoû, Mickaël Belle, l’un des co-fondateurs du lieu, préfère convoquer le « bon sens paysan » pour justifier leur sens de la récupération, leur rejet du jetable ou leur préférence pour les produits locaux.

Finalement, c’est davantage au regard de la considération que leur porte le Périscope que ces lieux-là prennent la mesure du rôle qu’ils peuvent jouer dans la transition écologique du spectacle vivant. En particulier à propos du déplacement du public, qui occupe (et de loin) la part la plus importante du bilan carbone d’un concert. Il faut dire que, dans l’esprit de beaucoup, la pensée écologiste n’aime a priori pas trop la voiture, alors qu’elle est presque indispensable pour se déplacer en milieu rural.

Or c’est justement parce que des espaces de musique live existent en campagne qu’on évite à certains de devoir rouler plus loin, jusqu’en ville, pour assister à des concerts.

Savoir écouter son territoire

En fait, bien plus qu’une éventuelle démarche écologique, c’est l’ancrage sur le territoire qui est généralement mis en avant, notamment dans la cuisine. Toutes et tous nous ont parlé de « localité » – rebaptisée « loqualité », contraction de « local » et de « qualité », sur la devanture de L’Oiseau sur sa Branche.

Comme si ce concept était plus naturel ou plus positif que celui d’écologie. Coline Llobet a d’ailleurs constaté qu’en dehors de cette notion, qui peut malheureusement renvoyer à des réalités très différentes sur le plan de la sauvegarde de l’environnement allant de la petite production raisonnée à de l’agriculture intensive, le sujet de la cuisine adaptée aux enjeux écologiques pouvait crisper. Autour du Village, situé sur une zone de revitalisation rurale – c’est-à-dire plus sinistrée que d’autres sur le plan économique – il est en effet plus délicat d’aborder certaines questions comme la nécessaire diminution de la place de la viande que dans la Drôme, région pionnière du développement durable.

C’est que cette idée de localité doit être aussi, si ce n’est d’abord, comprise sous son prisme social. En campagne, le public est moins nombreux, moins mobile et moins versatile qu’en métropole urbaine.

Pour exister, tous ces lieux de proximité ont donc l’obligation de soigner leur implantation territoriale en étant à l’écoute de celles et ceux qui les visitent, d’autant plus que leur économie repose essentiellement sur la vente de boissons et de nourriture, et non sur des subventions ou sur les maigres recettes de la programmation culturelle.

Sophie Donnet, ancienne gérante du Village, ne dit pas autre chose lorsqu’elle affirme que c’est un métier qui demande énormément d’empathie. Pas étonnant donc à ce qu‘Ilona Gil, l’une des trois co-gérant.es actuel.les du lieu, constate d’assez fortes disparités d’affluence selon les événements. Un live de musique électronique expérimentale attire moins qu’un concert de musique afro-cubaine, ce qui ne les empêche pas de continuer à prendre des risques. À Saoû, village pourtant habité par la culture depuis les années 80, Olivier Graeff du bar culturel le Poney Fringuant a choisi d’arrêter ses tentatives de spectacles jeune public, faute d’intérêt suffisant.

Quant à La Tournée des Refuges, même si leur nomadisme les place a priori hors du sujet de l’enracinement territorial, il y a tout de même chez eux cette idée intéressante d’adapter l’énergie – voire la setlist – de chaque prestation en fonction de l’ambiance du soir. Car où que l’on soit en milieu rural, et peut-être plus encore qu’en ville ou en festivals, le concert ne peut devenir un beau moment de lien social que si ses organisateurices comprennent à qui iels s’adressent.

Désenclaver dans l’enthousiasme

C’est donc assez naturellement que les établissements visités défendent les effets positifs de leur activité sur la vitalité du territoire où iels se sont installé.es. D’une part parce qu’elle souligne le dynamisme culturel de leur région en permettant à des artistes locaux de se produire et de se faire connaître, d’autre part parce que le passage de musicien.nes plus célèbres permet d’alimenter un cercle vertueux, qui donne à d’autres artistes d’envergure (ou à leur tourneur) l’envie de venir également. Mickaël Belle constate même qu’une halte dans un village reculé comme Saoû au milieu d’une tournée internationale peut être vécue comme une sorte de parenthèse enchantée, à l’instar du duo new-yorkais Elysian Fields, qui désormais revient régulièrement jouer sur la scène du Gasoline Palace.

De ce fait, l’intérêt que leur porte une salle spécialisée et subventionnée comme le Périscope est évidemment réciproque. Car toutes et tous voient bien qu’un projet tel que Landscape pourrait leur permettre de faire venir des artistes auxquel.les ils n’auraient probablement pas eu accès d’ordinaire, et ainsi d’apporter encore davantage de diversité artistique sur leur territoire, tout en participant plus activement à une dynamique de transition écologique.