Établir un lien avec d’autres publics
- Wim Wabbes
- Mars 2020
Permettez-moi de commencer par une petite histoire.
J'ai visité Istanbul pour la première fois en 2001. J'ai été étonné par la vivacité de la scène musicale. La diversité. La richesse. Mais j'ai aussi pris conscience que cette scène était très peu représentée sur nos scènes en Belgique. L'idée d'organiser un événement centré sur la scène musicale d'Istanbul m'est alors immédiatement venue.
Gand, ma ville natale et le lieu où je travaille à Handelsbeurs* compte une importante population d’origine turque (environ 10%, qui a commencé par une vague de migration en 1960). Je voulais que l’événement soit une réelle nouveauté pour la communauté turque mais aussi pour la population dite « native ». Le regretté Mehmet Uluğ (Double Moon records, Pozitif et Babylon club) m’a été d’une grande aide pour réaliser le programme. Il s’agissait surtout d’un mélange de musique traditionnelle et de rock psychédélique. Pour promouvoir le festival, j’ai collaboré avec De Centrale, un lieu de diffusion des musiques du monde à Gand, qui entretient des liens étroits avec la communauté turque. La première édition de ce qui est devenu le Festival Ekspres d’Istanbul a eu lieu en 2006. Ce fut un énorme succès. La plupart des concerts ont réuni un public très varié, mais certains concerts n’avaient pour autant pas susciter l’attention espérée au sein de la communauté turque.
J’ai évalué le programme du festival avec mon collègue de la Centrale Attila Bakiroglu – un natif d’Istanbul marié à une Gantoise et vivant dans la ville depuis plus de 20 ans… Il en est ressorti que si nous voulions avoir une plus grande participation, nous devions nous concentrer davantage sur ce que le public turc écoute réellement, ce qu’il aime. Je dois admettre que certaines des musiques qu’il m’a proposées ne correspondaient pas tout à fait à mes « goûts » (qui sont plus avant-gardistes, progressifs, peu importe comment on les appelle), mais c’était une excellente occasion de présenter une musique populaire qui n’a jamais franchi la frontière de la Belgique. Au fil des ans, le festival a pris de l’ampleur et est devenu très populaire auprès de la communauté turque de la ville. Pour l’édition du 10e anniversaire, tous les concerts ont affiché complet.
Laissez les organisations qui travaillent au sein de ces communautés s’occuper des programmes. Confiez leur la responsabilité d’organiser l’événement comme ils le souhaitent et mettez à leur disposition le professionnalisme et le savoir-faire de votre organisation.
Le succès du festival Ekspres d’Istanbul m’a également fait réfléchir à ma fonction de directeur artistique et de programmateur. Il y a cinq ans, j’ai assisté à un discours intéressant de Mehdi Marechal, qui travaillait pour une organisation axée sur la participation et la démocratie. Mehdi a parlé de l’implication des communautés culturelles diverses dans les arts et du rôle du programmateur. Il a déclaré que, si vous voulez vraiment atteindre ces communautés, vous devez être prêt à vous retirer et à leur céder votre place sur scène. Laissez les organisations qui travaillent au sein de ces communautés s’occuper des programmes. Confiez leur la responsabilité d’organiser l’événement comme ils le souhaitent et mettez à leur disposition le professionnalisme et le savoir-faire de votre organisation.
Cela sonne comme une évidence par rapport à ce que j’avais fait jusqu’à présent, mais cela m’oblige aussi à aller plus loin. J’ai pris contact avec des organisations que je connaissais et qui travaillaient au sein de certaines communautés et je les ai invitées à parler et à examiner comment nous pourrions mettre cette théorie en pratique. Une organisation appelée De Gentse Lente (Le Printemps de Gand), dont les racines se trouvent dans la communauté maghrébine de Gand, a répondu à l’invitation et nous avons mis sur pied un bel événement appelé Soiree Harira. Une soirée avec des plats cuisinés par les communautés locales et des concerts de groupes locaux où plusieurs traditions musicales se sont rencontrées. Un billet bon marché et le bouche à oreille au sein de ces communautés ont fait de la première édition, il y a 3 ans, un succès. Le Handelsbeurs était magnifiquement décoré. Notre hall d’entrée est devenu un restaurant de cuisine du monde. Les gens s’asseyaient ensemble pour manger, parler et ensuite profiter de la musique. Nos équipes de production, de technique et de communication étaient entièrement à la disposition de l’organisation partenaire et ont contribué à faire de la soirée un succès. Nous avons une relation similaire avec la communauté rom. Ensemble, nous organisons Amari Luma (« notre monde » en langue romane). Mon partenaire élabore le programme, organise les ateliers et s’occupe de la restauration. La communauté rom de Gand et d’autres villes se sent chaleureusement accueillie. Ils se déguisent pour cet événement spécial et se sentent chez eux dans ce « palais » culturel (Handelsbeurs est un bâtiment historique du XIXe siècle entièrement restauré).
Notre prochain défi est d’inviter d’autres communautés, à la recherche de nouveaux partenariats. Par exemple, nous voulons inviter de jeunes organisations impliquées dans la culture urbaine à organiser un événement à Handelsbeurs.
Permettez-moi de conclure par une citation de Gandhi, que Mehdi Marechal a également mentionnée dans son discours d’ouverture : « Tout ce que vous faites pour moi, mais sans moi, vous le faites contre moi. »
Wim Wabbes | Artistic director Handelsbeurs concert hall
*Handelsbeurs est une salle de concert basée à Gand, en Belgique. C’est un magnifique bâtiment historique rénové, avec une salle de concert qui peut accueillir 800 personnes debout et 400 personnes assises. À côté se trouve un foyer/bar qui peut accueillir 500 personnes. Le Handelsbeurs présente et coproduit un large éventail de musique : jazz, global et pop/rock (et tout ce qui se trouve entre les deux) et a lancé une nouvelle ligne de programme avec de la « grande musique pour jeunes oreilles » (groupe d’âge 6+). Handelsbeurs organise 120 concerts par an (y compris des formats de concert spéciaux et des festivals), présentant ainsi environ 150 groupes.
Handelsbeurs est subventionné par la ville de Gand et la Communauté flamande.