« La création est à la portée de tout le monde, elle est une mine d’or sur le plan pédagogique. »

Le péril jeune.

Depuis plusieurs années, les lycées Saint Exupéry et Lumière collaborent avec le Périscope pour donner les clefs de l'organisation d'un concert à leurs élèves. Un projet annuel qui invite les élèves à rencontrer, travailler et créer avec des artistes tout en faisant l'expérience du quotidien des salles de concerts de leur territoire. Professeurs en charge du cursus musique et anciennement "arts du son", Mathilde Auger et Jean-Luc Hyvoz nous parlent de leur investissement sur cette aventure et de leurs impressions directes au contact d'élèves. 

Bonjour à vous deux. Pour commencer, parlez nous de votre travail au sein de vos établissements, à quoi ressemble votre quotidien ?

Mathilde : j’enseigne au Lycée Saint-Exupéry à la Croix-Rousse. Mon emploi du temps est partagé entre la série S2TMD – qui s’adresse à des élèves engagé·es dans un cursus pré-professionnel dans le domaine de la musique ou de la danse, qui sont tous au conservatoire – et les séries générales, qui comptent des élèves attiré·es par la musique et qui peuvent pratiquer cette discipline au lycée sans aucun prérequis à raison de 3 h par semaine en seconde, 4h en spécialité musique de 1ère et 6h en spécialité musique de terminale.

Jean-Luc : j’enseigne au Lycée Lumière dans le 8e arrondissement de Lyon. Le lycée Lumière a la chance de proposer trois enseignements artistiques : le cinéma, les arts plastiques et la musique. Je m’occupe de la section musique qui concerne plus de quatre-vingts élèves de la seconde à la terminale. Le lycée accueille aussi une classe prépa aux Beaux-Arts. J’interviens auprès des étudiant·es pour un cours de culture musicale. Notre quotidien au lycée ? Une bonne partie de la journée avec les élèves. Même pendant les récrés, ils sont là pour jouer, chanter… Il y a peu d’absentéisme en musique !


Qu’est-ce qui selon vous amène vos élèves à s’inscrire dans votre option arts du son et quel intérêt manifestent-i·els en particulier dans cette matière et ces pratiques ?

Jean-Luc : L’option « arts du son » a été balayée par la réforme de l’an passé. Désormais, les élèves de seconde peuvent seulement suivre le cours d’option facultative. Ces trois heures permettent d’explorer plusieurs facettes de la musique : l’interprétation, la création, le fait de se produire sur scène, l’exploration artistique et culturelle par l’écoute mais aussi les projets construits avec des partenaires comme le Périscope et Bizarre!

Mathilde : Les élèves s’inscrivent dans cette option avant tout pour faire de la musique en groupe, rejoindre des lycéens qui partagent leur passion, parfois aussi dans l’idée de se préparer à un métier en lien avec la musique, le son, la culture. Peu choisissent cet enseignement pour acquérir un bagage culturel et théorique mais l’appétit vient en mangeant !

Inversement quel rôle avez-vous à jouer pour les emmener au-delà de leur univers musical acquis, afin notamment de découvrir d’autres champs (pratique artistique / univers professionnel / culture musicale…) ?

Mathilde : Nous les emmenons à des spectacles les plus variés possibles ; nous leur faisons chanter, jouer, écouter des pièces musicales qui n’appartiennent pas forcément à leur univers adolescent (chanson en français, air d’opéra, musique traditionnelle, jazz, etc.) puis nous les amenons à vivre le processus d’arrangement et de création.

Jean-Luc : Nous les engageons aussi vers l’expérience de critique (projet des Chroniques lycéennes pour la nouvelle chanson francophone ou Grand Prix Lycéen des compositeurs pour la création contemporaine). Les projets que nous menons avec le Périscope et Bizarre! sont une aubaine pour que les lycéens découvrent non seulement des univers sonores nouveaux, mais également des professionnels qui leur dévoilent leurs métiers.

Drôle d’endroit pour une rencontre : un concert organisé avec les lycées.


Dans ce cadre pourriez-vous nous expliquer comment et pourquoi vous avez envisagé le projet de concert & création ? 

Mathilde : Ce projet existe depuis longtemps : il a d’abord été mis en œuvre séparément par nos deux lycées jusqu’au jour où nous avons décidé d’associer nos forces et nos différences. En tant que collègues de musique, nous nous apprécions beaucoup et nous partageons une même vision de la pédagogie musicale et un même humanisme. Nos élèves n’arrivent pas dans nos options par hasard, i·els cultivent une envie forte de pratique, de découverte, de partage. La richesse de notre association émane de la mixité de nos élèves : le lycée Lumière se situe dans le quartier des Etats-Unis et le Lycée Saint-Exupéry sur le plateau de la Croix-Rousse. De fait, nos élèves ont déjà des expériences et des parcours différents. Le concert partagé, qui nécessite plusieurs séances de préparation, finit par rapprocher les élèves de nos deux lycées. Disparaissent rapidement les réticences liées aux représentations que chacun se fait de l’autre.

Nos élèves sont tous des ados qui vont être amenés à découvrir progressivement et sereinement leurs points communs et leurs différences, à s’apprécier, à se respecter et à s’admirer mutuellement quand ils monteront sur scène. La création est une facette qui nous a semblé nécessaire au fil des années

Jean-Luc : Nos élèves sont tous des ados qui vont être amené·es à découvrir progressivement et sereinement leurs points communs et leurs différences, à s’apprécier, à se respecter et à s’admirer mutuellement quand i·els monteront sur scène. La création est une facette qui nous a semblé nécessaire au fil des années : d’une part, elle permet de sortir des sempiternels covers ; d’autre part elle a l’avantage de remettre les compteurs à zéro. La création est à la portée de tout le monde, elle est une mine d’or sur le plan pédagogique.  

Est-ce que ce genre de projet permet aussi d’alimenter aussi un autre type de relation avec vos élèves ?

Mathilde : Assurément ! Quitter le lycée pour visiter un lieu de culture et de spectacle, pour assister à une résidence, une balance, une rencontre avec des professionnels sera toujours plus concret et motivant qu’un cours, aussi parfait soit-il !

Jean-Luc : Ce genre de projet qui fait travailler les élèves en équipes casse le rapport frontal prof / élèves. Mathilde et moi-même accompagnons les élèves, nous leur apportons des ressources, nous les conseillons, mais ce sont bien eux les acteurs du projet.

Mathilde : Engager les élèves dans un projet de cette envergure les amène à se responsabiliser. Accompagnés par des professionnels, ils découvrent chaque facette du concert, entre communication, coordination, régie et artistique. Murs collaboratifs virtuels, conception de tracts, diffusion sur les réseaux sociaux, accueil du public, rien ne leur échappe.

A titre personnel, quelle satisfaction arrivez-vous à tirer de ce genre de projet ? Comment percevez-vous la place de tel projet dans des parcours éducatif ? 

Mathilde : les élèves grandissent grâce au projet. Leurs goûts s’affirment, leur curiosité aussi. C’est une réelle satisfaction de mesurer de tels progrès.

Jean-Luc : Nous sortons tous de notre zone de confort. Elèves, profs et partenaires, travaillant de concert, chacun évolue, découvre d’autres manières de faire. Il n’y a pas que les élèves qui apprennent (rire) ! j’ai découvert moi aussi des artistes : Ukandanz, Chromb, Pixvae, Blast… Des talents incroyables. Et pour certains, une véritable fibre pédagogique. Ce fut un vrai bonheur de collaborer avec eux.


Quel est selon vous la plus grosse difficulté à appréhender sur la gestion de ce genre de projet ?

Jean-Luc : Le challenge de réunir nos deux classes nous conduit à gérer un groupe nombreux (plus de cinquante élèves). Or, il faut que chacun se sente concerné. Il y a toujours une « tête de classe » motivée d’emblée, mais il faut embarquer tout le monde dans le projet. On n’est jamais sûr au début que la mayonnaise prendra. Il faut aussi que la rencontre avec les artistes intervenants fonctionne.

Mathilde : Après plusieurs belles réussites, nous perdons de telles appréhensions. Parfois il faut plus de temps, mais ça marche à chaque fois !



Enfin, nous avons pour habitude de demander à nos interviewé·es ce qu’ils écoutent en ce moment. Vous ne dérogez pas à la règle ! Vous écoutez quoi en ce moment ?

Mathilde : En ce moment, l’Elina Duni Quartet en boucle. Sinon, un élève m’a fait découvrir Alabama Shakes et les Black Pumas que je trouve efficaces ; enfin, j’ai vu Rocketman récemment qui m’a fait butiner de vieux albums d’Elton John… 

Jean-Luc : Je me replonge avec délice dans les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau. Cet opéra-ballet baroque est au programme des terminales cette année. Quel sens du rythme et de la scène ! Cette musique n’a pas pris une ride…