La musique improvisée comme moyen de socialisation.

Multi-instrumentiste, chanteuse et improvisatrice installée en Serbie, Mija Milovic témoigne dans ce texte d’un projet qu’elle défend depuis trois ans dans les centres de demandeurs d’asile de son pays de naissance, le Danemark. Au travers de véritables jeux musicaux, elle tente de faire communiquer toutes ces femmes et ces hommes aux langues et aux cultures si différentes. Elle donne ainsi plusieurs exemples d’exercices créatifs qui ont fait leurs preuves, tout en s’inquiétant de la difficulté pour de telles initiatives d’exister par la seule grâce du bénévolat.


Improvisation in Asylum Centers.

Improvisation in Asylum Centers est un projet d’ateliers musicals initié et dirigé par Oliver Laumann et Mija Milovic et soutenu par JazzDanmark. Depuis 2018, nous avons organisé des ateliers dans la plupart des centres d’asile et d’expulsion situés au Danemark, dont il ne reste qu’une dizaine. Nous avons commencé par organiser des ateliers de deux jours dans cinq endroits différents. Ce modèle s’est depuis développé en ateliers de différentes durées, comme l’école de musique hebdomadaire basée sur le bénévolat au centre d’expulsion Avnstrup – (l’école de musique a été fermée depuis le confinement du COVID-19. Nous espérons pouvoir la relancer en mai 2020) – une école de musique qui a associé plus de 10 musiciens/professeurs. Au départ, nous avions pour priorité de toucher plus de personnes, c’est-à-dire de faire des ateliers dans plus de centres, maintenant nous nous concentrons sur moins de centres et sur un travail plus intense et plus fréquent.

Au cours des cinq dernières années, plus de soixante-dix centres d’asile ont été fermés au Danemark, ce qui a entraîné une réduction à huit ou dix centres restants, principalement des centres d’expulsion. Ces centres ont créé un environnement hostile et peu accueillant, qui repose sur une aide extérieure, principalement bénévole, pour effectuer un travail quelque peu durable. Pour ne citer que quelques organisations à but non lucratif : le groupe Together We Push a fait office de réserve alimentaire hebdomadaire, de fête d’accueil et d’autres activités pour les résidents du centre d’expulsion Sjælsmark, et Welcome Refugees : une organisation qui offre des conseils juridiques gratuits aux réfugiés et aux demandeurs d’asile.

Vaincre l’isolement.

Les centres sont tous situés dans des régions extrêmement éloignées, les transports pour y aller et en revenir sont très rares, c’est pourquoi un des objectifs a été de créer un environnement social-musical-thérapeutique dans les centres.  Il y a eu très peu de possibilités d’atténuer les conditions hostiles dans ces centres, car les résidents n’ont, par exemple, pas été autorisés à faire la cuisine pour eux-mêmes au cours des deux dernières années, et les conditions de vie sont pour le moins déprimantes. Nous apportons des instruments soutenus par JazzDanmark que nous pouvons laisser dans les centres pour que les résidents puissent en jouer, mais il est difficile de convaincre les employés de mettre les instruments à disposition lorsque nous ne sommes pas là ; c’est pourquoi nous essayons d’amener des amis et d’engager des locaux et de nouveaux professeurs afin que la musique soit plus fréquente.

Les centres sont comme des limbes terrestres, un espace sans libre arbitre, rendant ses résidents à jamais prisonniers d’un état fantomatique.

Utilisation de partitions basées sur le mouvement.

Depuis 2017, nous vivons en Serbie et travaillons avec les réfugiés. Cela fait donc trois ans que nous organisons des ateliers dans les camps d’asile au Danemark et nous avons rassemblé du matériel pédagogique basé sur des méthodes alternatives de partition musicale, telles que la Notation Animée [1] (exemple 1 : Olivers « Spooky Spirals ») et les partitions basées sur le mouvement (Diagram Picture Scores – voir ci-dessous, exemple 2 : « The Stage » ; exemple 3, « Play a Field »), et exemple 4 « The Drummer » les Partitions dites « Vivantes », ainsi que la musique sur des indications parlées, écrites ou dessinées en général (exemple 5 « Chalkboard Improvisation ») .

L’idée d’introduire une entrée visuelle, un « chef d’orchestre » visuel, qui peut guider les joueurs sur le QUAND jouer, est un outil simple qui peut être rendu plus complexe et ouvert à la composition collective et aux discussions sur le QUOI, le QUAND et le COMMENT jouer.

Nous avions besoin d’un moyen de jouer de la musique où tout le monde pouvait participer, indépendamment de la langue, des compétences musicales, de l’âge ou du nombre de participants.

L’école de musique Avnstrup :

L’objectif est d’établir différentes formes d’environnements musicaux dans lesquels nous, en tant que groupe d’enseignement, pouvons modifier le contenu musical et le former avec les résidents en fonction de ce qu’ils souhaitent travailler, de leur âge, du nombre de personnes, etc. Pour n’en citer que quelques-uns :  Enseignement individuel d’un instrument solo, exercices choraux/vocaux, écriture de chansons et cours de technique sur le fonctionnement de la salle de musique et de son équipement. Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés sur l’improvisation collective en créant un espace musical sûr qui a donné lieu à des improvisations intemporelles, à des formations de petits groupes avec rotation des instruments et au jeu des chansons des résidents. Nous avons l’intention de gérer l’école de musique pendant longtemps et de le faire de manière durable.

J’évoquerai brièvement la difficulté du volontariat : le travail non rémunéré ne sera pas par défaut priorisé et valorisé au même titre que le travail rémunéré. Il en résulte un sentiment de manque de responsabilisation et une prise de décision au jour le jour, en fonction des motivations, de la part des personnes qui travaillent dans un but non lucratif, quant à leur participation ou non. Le travail à but non lucratif est, pour l’individu, en concurrence avec les activités de loisirs et le temps libre, ce qui rend difficile la gestion d’une organisation durable sans personnels employés. L’engagement est fondé sur de bonnes intentions, mais il est également censé constituer une véritable force de travail. Attendre ou dépendre d’un financement n’est absolument pas une solution non plus. Il est important de réaffecter le ou les fonds disponibles dans des domaines où ils ne circulent normalement pas (les centres d’asile), ainsi que de se rendre disponible, en tant qu’enseignant, en tant qu’ami, même s’il s’agit d’activités qui ne sont ni payées, ni très souvent encouragées. J’invite donc les gens à sortir de leur cercle étroit, à dépasser la perspective d’une récompense économique et à apporter de la musique, de l’art, des compétences et des amis là où ils sont nécessaires.


exemple 1 : Dessiner trois carrés sur le sol : pour chaque groupe, il doit y en avoir un qui joue et un qui contrôle ceux qui jouent ; le chef d’orchestre. Les mouvements du chef d’orchestre à l’intérieur et à l’extérieur des cases contrôlent le jeu (uniquement lorsque les personnes sont dans les cases marquées).
exemple 2 : Diagram picture score “The Stage” from Heatherfield Links consists of horizontal and vertical axes where you can assign musical parameters such as volume, tempo, pitch, distortion. We made this score a blackboard so the parameters can be changed every time you want to play it.
exemple 3 : “Play a field” mark three squares on the floor. For each group there must be one who plays and one who controls those who play; the conductor. The Conductor’s movements in and out of the squares controls the playing (only when the people are in the marked area) and not playing (outside of the square).
exemple 4 : un musicien du groupe est un batteur sans batterie. Le reste du groupe se divise en quatre groupes. Le premier groupe joue les mouvements de la main droite du batteur, le deuxième groupe joue le pied droit du batteur, le troisième groupe joue le pied gauche et le quatrième groupe joue la main gauche.

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[1] A lire pour plus de détails : Visionner ici les graphiques