KCIDY

La dernière fois qu’on quittait KCIDY, KCIDY quittait elle-même une étape de sa vie, la
vitesse citadine, où les nuits ne se terminent jamais, un point de vue resserré qui prenait le
large à l’arrivée de son premier enfant. Sans remords, elle allait vers une lumière naturelle,
celle qui irradiait depuis toujours, au plus profond d’elle-même. Qu’elle soit au bord de la
route, d’un lac, d’un champ, nichée dans un petit appartement à Lyon ou dans une maison
de campagne, Pauline Le Caignec compose sans cesse et, naturellement, on retrouve dans
sa pop tous les bouleversements qui la traversent. Depuis le début des années 2010,
plusieurs chapitres se succèdent, des moments en groupe dans Satellite Jockey ou Tôle
Froide, des premiers EP solo en anglais puis un virage en français avec l’album KCIDY A
DIT en 2019. Depuis lors, pas de doute, ses chansons sont un exutoire. C’est intime,
honnête, entre nostalgie et jubilation candide de tout ce qui constitue le présent. C’est son
miroir mais pas seulement, car c’est aussi un terrain d’aventure, de contemplation, où tout
est permis pourvu que se produise un décalage.
Au fil du temps et des projets, Pauline zoome de plus en plus précisément sur sa vérité, la
micro-vie et sa relation à toutes les forces qui l’entourent. L’immensité et l’immédiat. Un bon
départ pour se représenter la substance de ce nouvel album de KCIDY où les souvenirs se
mêlent au vertige de ce qui pourrait advenir. C’est une ode à toutes les facettes du monde
vivant, une fenêtre émerveillée sur les paysages qui jalonnent son quotidien, ceux qu’elle va
chercher souvent, comme ceux dormant dans sa mémoire. Face à la nature qui se délite au
contact des humains, au bitume qui avale la flore, elle se sent impuissante et on se plaît à
s’imaginer que c’est à travers sa musique qu’elle tente de retenir ce qu’il reste du panorama.
“J’ai écris ces dix chansons en regardant ces collines, en les imaginant devenir de grosses
et douces montagnes, en observant les rapaces voler au-dessus des prés, en écoutant la
rivière couler, impassible et impatiente de rejoindre le fleuve Loire.”
Cette fois-ci, pas de concept, d’emballage, c’est l’urgence de traduire le présent qui prime.
Réalisé en quelques mois seulement, L’immensité et l’immédiat va vite et raconte sans
retenue le fourmillement de réflexions d’un cerveau hypersensible à ce qui l’entoure. L’album
s’ouvre sur “Maisons vides”, retour tendre et amusé sur une enfance ballottée entre une
dizaine de déménagements successifs aux quatre coins de la France. Au-dessus d’une
batterie rappelant le “Come on let’s go” de Broadcast et d’arpèges de guitare faussement
naïfs, elle fait la paix avec le tourment adolescent. Dans “La mer en hiver”, Pauline se confie
sur les doutes et questionnements qui surviennent au sein d’un couple qui s’est formé dix
ans auparavant. Comment entretenir l’enthousiasme et la passion qui définissent les
rencontres amoureuses? Elle construit la démo seule dans son local et tout s’imbrique telle
une évidence, simple comme une suite d’étapes de recette de cuisine. “Je me suis vraiment
laissée porter par l’émotion que je vivais à ce moment-là, à la fois d’une grande frustration
vis à vis de mon amoureux et d’un désir très fort que l’on se retrouve, que l’on s’aime encore
plus fort.” On plonge dans une ambiance plus nocturne avec “Théorie”, sa ligne de basse
frontale, la mélancolie de l’orgue électronique et une batterie quasi trip-hop, soutenant des
paroles en clair-obscur où l’espoir perdu finit par refaire surface. On comprend un peu mieux
le rapport au monde et aux sensations de Pauline dans “Tu t’ennuieras”, traduction sonore
d’un certain sentiment d’oppression, de solitude psychologique face à un train sur lequel elle
ne parvient pas à sauter. Piano, synthétiseur, batterie jungle, guitare électrique, instruments
orchestraux, le tout est nerveux comme la conversation à sens unique d’une séance chez le
psy. La cadence se ralentit sur “Sujet sensible”, chanson marquée par toute la pesanteur
d’une relation mère-fille qui peine trouver un équilibre, puis l’on bascule sur la légèreté de
“Danser sous la pluie”, ode aux orages imprévus, aux caillous dans la chaussures qui ne
font pas si mal que ça, après tout. Le très 60s “Comète”, où flotte un peu de Jacqueline
Taïeb et Christine Pilzer dans la douce effronterie du phrasé, se fait l’annonce d’un présage,
d’un message providentiel aperçu dans le ciel. Elle s’adresse ensuite à l’enfant de ses amis
dans “Johanna”, à la mélodie entêtante, entre envolées glam rock et pop song 80s. “Je
trouve ça très beau de prendre au sérieux les émotions des enfants, de leur parler depuis
notre vécu d’adulte mais avec la douceur et la tendresse qu’iels exigent”. “L’autre Rive” a
quelque chose d’obsédant, une ambiance autrement plus mélancolique, proche des
esthétiques de Radiohead, pour un voyage vers l’inconnu, l’imaginaire, avaant le tube mutin
“Poussières” construit en superpositions de synthés addictifs qui semblent parler leur propre
langue sous les paroles de Pauline. L’histoire se termine sur une dernière “Ritournelle” et
son riff collant, sa voix noyée dans la reverb, fredonnant dans le lointain, comme si tout
doucement elle nous quittait pour plonger dans la mer, celle d’une plage au Morbihan, au
fond de laquelle se trouve le monde des merveilles qu’elle ne cesse de vouloir retrouver.
au Périscope
Pauline Le Caignec (piano, chant)
Amélie Lambert (claviers)
Mathias Chirpaz (guitare)
Rémi Richame (basse)
Florian Adrien (batterie)
au Périscope